Seconds de cordée

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Il est des territoires qui ont été conquis par l’homme pour leurs ressources naturelles, leur localisation stratégique, leur potentiel d’activité économique.

Celui de la montagne n’a pas échappé à ce schéma colonial, même si grâce à son climat exceptionnel, dans sa grande majorité, il reste aujourd’hui encore préservé.

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"L’altitude est l’une des rares contraintes naturelles auxquelles la réponse humaine ne peut pas être uniquement d’ordre culturel ou technologique. C’est à peine si 8% de l’humanité s’est installée à plus de 1000m, et 1,5% à 2000m."

Source : Karine Laaidi et Jean-Pierre Besancenot – La vie humaine en haute montagne, Faculté de Médecine, Université de Bourgogne, 2002

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Ne pouvant être considérée comme une simple terre, sa condition géographique et climatique la préserve de la vague hors normes du grignotage territorial qui commence à peine à être règlementée sur le territoire national. Le contexte d’urgence climatique et la contrainte prophétique dans laquelle nous sommes entrés en créant l’air de l’anthropocène place ce territoire comme un lieu stratégique d’implantation de futures sociétés et de nouvelles urbanités, son climat restant vivable où d’autres seront bientôt inhabitables par la condition humaine.

Le caractère saisonnier de la conjoncture de montagne tend petit à petit vers un usage et un peuplement durables. Nous pensons qu’en se dirigeant vers cette destinée, les infrastructures actuelles possèdent un potentiel de transformation à modeler pour s’accorder au mieux aux modes de vies des usagers, sédentaires et nomades.

Enfants des montagnes, et plus particulièrement des territoires alpins, notre perception du terrain est teintée d’une expérience émotionnelle, tout comme notre analyse est ancrée dans la fonctionnalité des activités locales. En tant que professionnels de la construction, notre vision se nourrie de l’ensemble de ces composantes, et de la conscience de l’exploitation d’un territoire alpin raisonnée, conservée et justement dimensionnée.

Notre sensibilité d’intervention nous amène à travailler avec des techniques et matériaux locaux, vers la construction d’espaces les plus décarbonés possible. L’intelligence de l’homme artisan qui travaille avec les ressources locales et la connaissance d’un terrain et de son territoire sont pour nous des leviers d’action au service de la création de spatialités domestiques et populaires allant dans vers un avenir serein des points de vue écologique, culturel et social.

On ne peut comprendre la montagne que si on la pratique et on l’explore. Nous en sommes tous partis pour y revenir, menés par la force vitale de l’explorateur qui trouve sa complétude dans le terrain de jeu dans sa localité.

Nous pensons qu’il est des architectures qui doivent être préservées et améliorées. Parfois, les meilleurs mètres carrés sont ceux qu’on ne construits pas, mais bien ceux déjà présents que l’on sait apprécier et magnifier.

Le chalet d’alpage est un ouvrage aussi poétique que vernaculaire. Il dégage tant dans sa volumétrie que dans son implantation l’essence même du minimalisme fonctionnel adapté à son sol d’ancrage : tout élément est sensé, signifiant « avoir un sens et un usage », et l’ornementation typique de la construction n’est qu’une résultante extraite de la composition des appareillages mêlant matières et matériaux.

Cette architecture est un patrimoine aussi précieux que les grands ouvrages classés. Elle marque le passage des époques à travers une géométrie intemporelle qui reste l’inspiration et la base de toute construction de montagne à ce jour. Par sa simplicité, elle représente la beauté de l’usuel et du quotidien, l’exceptionnel du convenable.

Elle doit être traitée avec justesse, délicatesse et respect.

La rénovation est un exercice de terrain. Il demande réactivité, adaptativité et rigueur tout au long du processus. Le changement des usages couplé aux améliorations techniques, thermiques et structurelles demandent une acuité constante et une flexibilité de conception.

Nos parcours et notre expérience nous ont convaincu que le dessin du détail, et par là, le design, sont des outils puissants pour concilier contraintes, exigences et activités contemporaines.

Nos modes de vies ont plus évolué en 70 ans que durant l’intégralité de l’activité humaine sur terre. Nous ne vivons plus aujourd’hui comme nos parents vivaient ; nous ne vivons d’ailleurs plus de la même manière où nous avons vécu notre enfance. Les modes de vies évoluent à une vitesse galopante, et, couplés au contexte climatique, la composante de l’adaptabilité devient un socle clé de tout développement architectural et programmatique.

La remise en vie d’un espace déchu doit accueillir de manière dynamique la vie quotidienne, et lui permettre d’évoluer avec les âges et les saisons.

À partir d’aujourd’hui, il faut donner à terre plus qu’on ne lui prend.

Nous sommes prêts à relever ce défi.


Charlotte-perriand-ecrins

Photographie : Charlotte Perriand


Texte écrit dans le cadre d'une candidature commune avec 27a architectes.